"Dépôts de savoir et de technique" (Chronicle)

"Dépôts de savoir et de technique" (Chronicle)


Dédé: Salut les gonzesses. C'est Dédé.

Dédé: J'ai mis des guillemets au titre, vous allez comprendre pourquoi. J'espère.

Dédé: Faut que je vous raconte un truc pas possible.

Dédé: Hier soir j'étais avec deux gonzesses. Pas des blondes. Des qu'avaient l'air intelligentes et tout. Y en avait une elle mesure 1m75, 95B. Enfin moi j'aime pas trop les gros nichons. On parlait littérature. Elles surtout. Faut dire que c'est pas facile de participer à une conversation littéraire si on peut parler que des couvertures. Parce que moi, à part les titres j'ai pas souvent lu un livre.

Dédé: Déjà, même les titres je les comprends pas toujours. Bon d'accord, si on prend "Portrait du joueur" de Philippe Sollers que j'ai vu sur le bureau de Papy là je comprends. J'l'ai pas ouvert mais rien qu'au titre je sais de quoi ça parle. Enfin je crois. Je me dis que c'est un type que je sais pas à quoi il ressemble mais que j'ai sûrement croisé dans un clandé de Pigalle, qu'avait un brelan d'as et que j'ai rétamé avec un full au dix par les huit. Ou quelque chose comme ça. C'est con, j'aurais du lui parler au mec. Un mec qu'écrit c'est pas souvent que j'en vois.

Dédé: Si, y a bien P'pa et Papy mais eux c'est pas pareil, j'les comprend parce que c'est eux et qu'on cause souvent ensemble. Alors je comprends ce qu'ils disent. Surtout P'pa quand il m'engueule et Papy quand il m'emmène au bistro. C'est Papy qui m'a appris à aller dans les bars et à causer aux gonzesses. Ca c'est quelque chose que j'ai vite appris. Et bien en plus. J'suis plus fort là qu'à l'école. Quand même avec Papy, je me dis qu'il parle pas vraiment comme moi, surtout des mathématiques et de Saint Thomas d'Aquin. De peinture aussi des fois, pas celle qu'on passe sur les murs, non celle qu'on accroche sur les murs. Il m'emmène dans les musées de temps en temps et il me parle des tableaux. Il doit pas avoir les mêmes yeux que moi... P'pa aussi des fois y m'embrouille. Un soir il m'a parlé de Céline, je croyais que c'était une de ses ex et y m'a dit "tiens je vais te montrer un DVD". Je croyais que j'allais voir des galipettes. Ben pas du tout ! C'était un mec avec une voix pas possible qui faisait rien qu'à râler. Je me suis endormi avant la fin. Papy y dit que la vie on l'apprend à l'école de la vie. Lui il est allé à l'école dans le désert. Ca doit être pour ça qu'il aime tant les troquets. Il a pas du en voir beaucoup là bas. Et le vin rouge. Parce que dans le désert y a pas d'eau y m'a dit. Alors forcément il a pas pu apprendre à en boire.

Dédé: Bon je reviens à ma conversation avec les gonzesses. Celles qui parlaient littérature. Parce que si je me mets à parler de Papy je vais en faire un roman et c'est pas certain que vous allez tout comprendre.

Dédé: Les gonzesses donc elles me disaient que c'est en lisant qu'on devient liseron. Ou quelque chose comme ça. Qu'il fallait que je me force si je voulais apprendre et progresser. Progresser quand on part de rien c'est pas dur, alors je me suis dit que si je lisais un livre je ferais forcément d'énormes progrès très rapidement. Que je pourrais même écrire autre chose que des polèmes. Parce que moi j'écris que des polèmes. Je vous l'ai peut être déjà dit ça, je sais plus. Enfin, je vous le dit, comme ça maintenant vous le savez.

Dédé: Je les ai écoutées les gonzesses. J'avais pas le choix elle faisaient que parler. Je pouvais pas en placer une. Elles parlaient surtout entre elles, comme si elles croyaient que je pouvais pas suivre la conversation. Mais je suivais, sans rien dire. Elles sont vachement fortes, parce que pour m'empêcher de parler, surtout à des gonzesses, faut être fort. Je faisais que suivre d'ailleurs, en buvant des bières. Je comprenais pas tout.

Dédé: J'sais pas si vous avez remarqué mais les gonzesses quand elles parlent de livres elles boivent pas de bière. Les deux d'hier je sais plus ce qu'elles buvaient. Un truc qu'elles ont commandé en anglais (je crois) pour pas que je comprenne. Je parle pas anglais.

Dédé: On a fini par se quitter. Je leur ai pas proposé de les raccompagner parce que je devais aller récupérer un peu de pognon dans un endroit que je crois pas que ça leur aurait plu d'y être. Faut dire qu'on y parle plus de cul (je devrais pas dire ça sur un forum de littérature) que de livres.

Dédé: Après je suis rentré chez Papy. Je vais pas vous parler de Papy, n'allez pas croire. D'abord il aime pas trop que je parle de lui. Il dit que je dois pas raconter sa vie. Je sais pas pourquoi parce qu'elle est super sa vie. Et puis lui il a vachement lu je crois. Enfin en tout cas y a vachement de livres chez lui. Si j'avais autant de bouteilles qu'il a de livres je pourrais ouvrir un bar à putes à Macao. Pleines les bouteilles je veux dire. Parce que vides ça j'ai du les avoir.

Dédé: Donc je suis rentré chez Papy. Il dormait déjà, j'ai pas pu lui raconter ma soirée. Pour une fois qu'il aurait été content. Enfin, j'imagine qu'il aurait été content que je lui dise que j'avais parlé littérature. Je lui aurais pas dit que j'avais fait qu'écouter en sirotant des bières.

Dédé: Alors comme j'avais pas vraiment sommeil je me suis souvenu de ce que m'avaient dit les gonzesses. Si, vous savez bien "c'est en lisant qu'on devient liseron" ou quelque chose comme ça. J'ai pris un bouquin sur une étagère à Papy. En me disant qu'après je pourrais peut être écrire un poème, un vrai. Avec des sentiments et des émotions. Comme ceux que je lis ici. Enfin, pas un polème quoi.

Dédé: Le livre que j'ai pris c'était "Dépôts de savoir et de technique" de Denis Roche. Ca y est, vous comprenez pourquoi j'ai mis des guillemets au titre ? Je sais même pas qui c'est ce mec, Denis Roche. Tiens, même que si y en a qui savent ici je serais vachement étonné.

Dédé: Le livre je l'ai ouvert. Ca m'a fait une émotion d'ailleurs. Alors je me suis dit que ça devait être un bon livre pour que rien qu'à l'ouvrir j'aie déjà une émotion.

Dédé: Et j'ai commencé à lire. Attendez je vais vous dire le début. Je mets des guillemets pour pas que vous croyez que c'est moi qu'ai écrit ça. Vous le croiriez pas d'ailleurs, alors autant que je vous le dise.

Dédé: "De même que Louve basse était le roman de ma liberté, il se pourrait que ces Dépots de savoir et de technique constituent le livre de mon orgueil et de mon éloignement."

Dédé: C'est fort ça ? Enfin, moi je trouve. Je me suis dit qu'elles avaient sûrement raison les gonzesses.

Dédé: "… Le premier était fait de cette idée nouvelle que je pouvais y aller tout autant que du claquement péremptoire, joyeux de la porte franchie et des vacarmes innombrables que faisaient au-delà les gens et les choses, comme pris entre deux feux et ne pouvant taper mon texte que là, entre les oiseaux de la cour et les voitures de la rue, entre les machines qui tournent et grincent et les gens qui meurent."

Dédé: C'est fort ça ? Mais rien que là déjà j'avais perdu le fil.

Dédé: Je me suis dit que j'étais pas encore assez sensible pour apprendre à lire. Et j'ai fermé le bouquin. Faut dire qu'encore une fois même le titre je l'avais pas compris. La prochaine fois faudra que je demande à quelqu'un de me conseiller un truc facile à lire. Pas à papy parce que s'il a que des bouquins comme ça je suis pas à la veille de faire des progrès.

Dédé: C'est dommage, les gonzesses vont être déçues…


Ciao les gonzesses, c'était Dédé.