Griffouillis (extrait)

Et plus le temps passe, plus l’écriture s’offre ou se refuse à moi, plus la poésie s’ébauche et se volatilise, plus ma recherche se fait violente. Aujourd’hui, sorti des mots, un autre monde se propose. Je n’écris plus les phrases : je les respire. J’ai au bout de la langue ce goût de poésie, elle malaxe mes cheveux, me tord le ventre et m’irradie parfois, dans certains moments de solitude, cette drôle de chaleur dans les yeux ; elle fait comme un voile, ici plus rien n’existe d’autre qu’elle. Je trouve aux autres la beauté qu’elle leur donne. Je ne pardonne à mon décor quotidien que les rares instants suspendus où, comme deux rivaux fatigués, ils se mélangent. Les pierres poésie sont bleues et roses ; les arbres poésie dansent ; les vieilles maisons ont le rictus des sages, et la poésie leur fait comme des grimaces ; les pavés sont la route des prospecteurs, autant de ciels où je m’élance. Peu m’importe les gros amas de chagrin : elle est partout ! Elle joue, comme toujours j’ai voulu jouer d’elle. Bientôt je suis presqu’insensible à toute manifestation qui n’émane pas d’elle. Les gros visages noirs crachent d’autres grands discours, les faces tombantes éclaboussent de leurs larmes des horizons disparus, les membres pressés s’obscurcissent : je n’y vois plus. Je suis de cette arène multicolore de fusées, de traces lumineuses : j’aspire à tous les sensibles, aux mouvances qui se calfeutrent, aux impressions imaginaires. Aux yeux la persistance rétinienne et brouillée des grands enclos de ciel, où le corps s’autorise, pour quelques instants volés, à partir plus loin que ses attaches. Tout le courant du jour, j’étais nu dans les fumigènes. Dans l’épaisseur grossière de mon ombre, j’observe : veilleur au chevet des malades, confident des êtres qui débordent, je me supporte mieux. A les voir grandir quand ils l’exhortent, à la voir toucher du doigt certains visages, j’aime la poésie comme jamais. A tout précipice, une lueur. Le poète est le tympan des songes. N’aimer que les êtres purs, ceux dont la carcasse n’est pas imperméable, ceux dont les os laissent parfois filtrer certains espoirs, certaines démences aveuglantes, ceux dont les yeux perdus passent du rire aux larmes sans plus de raison qu’un soleil qui se lève : est-ce radical ? Ils m’ont trouvé hirsute, mal fini de n’être pas des leurs, et laid de mes certitudes : les rêves boursouflent, et je n’ai pas d’excuses. Je t’aimais bien. Les remords jouent entre mes pieds la nuit. Les plaintes voguent en cercles. Ce soir, demain soir : la poésie. Je n’ai jamais eu autant d’amis que seul.


Z 27 09 10

Quelle belle et lumineuse déclaration d'amour !

Mais tu ne t'arrêteras donc jamais !
Je l'espère en tout cas.
Ces réflexions sur la poésie sont tellement riches que je veux bien voir une somme de never ending "Griffouillis".

Nilo, lecteur assidu.

Disons que j'ai hâtivement écrit le mot fin, alors que j'ai encore des choses à dire - en tout cas j'ai l'impression. Mais la fin restera telle qu'elle est. Je vois juste un texte un peu plus long et construit.

Merci à vous deux d'être toujours au rendez-vous

Z.

Ha revoilà ces petits griffouillis que je croyais terminés.

Quel plaisir, je prendrais le temps de m'y attarder car ça en vaut la peine.

A suivre

Et merci

Sylvie

Dans ces "griffouillis", il y a toujours un moment où tu évoques ton rapport à l'autre, difficile sinon différent. Et c'est cela qui m'intéresse aussi dans ton cheminement.

Dam, chemin faisant.