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à celle qui vous couche sur les rails...

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Message  vivant Ven 15 Avr - 7:07

Je fais partie de ces gens qui ne croient pas au hasard et ça me rend dingue. Je ne pense pas que tout soit déjà écrit, mais je sens qu'un sillon est tracé, que des signes le balisent, et que de s'en éloigner trop ostensiblement conduit à la dérive, à la perte de repères, à toute chance de raccrocher le wagon... Être à l'écoute, observer, et ensuite agir avec suffisamment d'éléments, voilà ce qui doit primer. Dieu ? Non merci, mais une intrication de désirs et de contraintes, le grincement quotidien de nos rouages mêlé à celui d'autres mécaniques toutes aussi complexes. Une forge humaine; sang et eau...

Ils tentent de m'intimider, de me piéger en prétendant vouloir comprendre, en m'assurant que je ne suis là qu'à titre de témoin. Ils sont à l'image de ces automobilistes pressés, coincés dans un embouteillage, en quête d'un raccourci salvateur, mais je n'ai pas de version courte à leur offrir. Oui, j'ai bien connu cette femme par le passé ; oui, le couteau qui a servi à la tuer est bien le mien ; oui, les empreintes sur son corps m'appartiennent aussi...

Il serait tellement facile d'avouer comme on me le suggère. On me berce à coups de folie passagère, de circonstances atténuantes et de séjour-minute en prison, mais à moins d'être complètement cinglé, je suis certain de n'avoir pas tué Julie. Les vrais dingues sont ceux qui l'ignorent et qui comptent me fondre dans ce moule-là.
_ Bon reprenons.
Et tout recommence. Ce qu'ils veulent reprendre, ne m'appartient pas. J'ai eu une liaison avec Julia, mais ça remonte à dix ans. Elle était classée dans la rubrique « faits divers » du journal de mes obsessions.
_ Dix ans... 10, comme le nombre gravé au couteau sur son dos... »
Je relève la tête. Il n'y a pas une once de second degré dans la remarque du flic. Ça me fait frémir. Il me colle sous le nez les photos prises sur le carrelage de ma cuisine. Le dos de Julia et ce numéro 10 violacé au centre, flocage macabre d'un maillot de peau ; puis cet autre cliché montrant l'abdomen et la poitrine percés à plusieurs reprises. Je porte mon regard sur son visage exsangue et ses paupières closes. J'essaye de comprendre, de me rassurer aussi. Suis-je capable de pareilles atrocités ? J'ai dit cela tout haut.
_ Nous avons tous un monstre qui sommeille et Dieu sait ce qui peut l'éveiller. Quelles étaient vos relations avec la victime, je veux dire, avant cette parenthèse de dix ans ?
Le nombre 1O me trottaient maintenant en tête. Un signe, bien sûr, mais tellement évident qu'il en devenait opaque. _ Comment voulez-vous que je réponde à cette question ? Je me souviens que nous étions allés ensemble à Paris pour l'an 2000, de l'embrasement de la tour Eiffel, de ce brassage humain juste après sur les avenues et des bouteilles broyées sous nos pieds, mais ce sont comme des polaroids... Il en est de même pour Julia.
_ Vous avez une image précise de vos relations de l'époque ?
_ Que dire ? J'en garde des souvenirs doux... ses seins tendres dans mes paumes, ses cris étouffés dans l'oreiller pour ne pas éveiller sa fille qui dormait à côté, et ces vacances passées séparément où elle avait cédé à la première tentation. Une désillusion qui avait mis fin à plusieurs mois de complicité. Je ne sais pas quoi ajouter qui ne relèverait pas de la banalité.
_ La banalité, on baigne dedans. Ne cherchez pas à nous épater. Quand même, vous avouerez que c'est troublant... Dix ans plus tard, le nombre 10 gravé sur son dos. La victime connaissait les lieux puisque vous résidiez déjà ici à l'époque...
_ Les apparences sont contre moi... C'est bien comme ça qu'on dit dans les séries policières, et pourtant je suis innocent. Ces dix années se sont écoulées sans le moindre contact avec cette femme. Je l'ai juste trouvée morte dans ma cuisine. Qu'auriez-vous fait à ma place ? Je l'ai retournée pour voir son visage et je vous ai appelés dans la foulée. Je l'avais presque oubliée à vrai dire. Je n'avais aucun intérêt à tuer Julia, aucun mobile...
_ Aucun alibi non plus...
_ Comme beaucoup de personnes seules, non ?
_ Ça vous pèse, la solitude ?
_ Je vous vois venir. Non, je m'en accommode très bien. Dans un monde surpeuplé, c'est même une valeur sur laquelle miser dans l'avenir.
_ Un fond de misanthropie ?
Je me suis retenu. Répondre sans réfléchir aggraverait mon cas. Dix, Julia... Bon sang, qu'est-ce que ça signifiait ? Sous la pression, des morceaux de conversations me revenaient par flots. Ses besoins de rapports sexuels violents, notamment. C'est comme cela qu'elle avait justifié son infidélité. J'étais trop doux, trop attentionné selon elle. Julia m'avait parlé de la jouissance qu'elle avait éprouvée à être ballottée entre ces deux types et du délicieux abandon, de l'incomparable plaisir d'être malmenée, d'être traitée comme une chienne. Sur le coup, c'est vrai, j'avais eu envie de la tuer, mais j'avais été immédiatement rattrapé par la déception et le dégoût.
_ Il faudrait peut-être éplucher ses relations récentes. Julia aimait bien baiser brutalement.
_ Dans le feu de l'action, on peut être amené à déborder. La passion, l'excitation, le besoin de posséder ce qui nous échappe...
_ Oui, le cliché tient la route. C'est même le principe du cliché... sauf qu'il y a erreur dans le casting. Des types qui ont grimpé Julia, il a dû y en avoir des dizaines après moi.
_ Nous travaillons à reconstituer ses derniers liens. En attendant, c'est chez vous qu'on l'a retrouvée nue et morte.
_ Autrement dit, vous ne lâcherez pas cette hypothèse tant que l'on ne vous servira rien de mieux au menu ?
_ C'est comme cela que ça fonctionne. Votre cuisine, votre couteau, votre ex, vos empreintes, votre absence d'alibi... tant que rien ne pèsera de l'autre côté de la balance, vous restez le coupable potentiel.
_ Je suis toujours entendu à titre de témoin ?
_ Bien évidemment. Vous souhaitez changer de statut ?
Je me suis rembruni. Son collègue bâillait et faisait craquer ses phalanges une à une. Lui me souriait, l'air de dire : j'ai tout mon temps, c'est toi qui mijotes sur le feu. Une information a filtré, comme quoi le légiste avait retrouvé une forte concentration de tranquillisants dans le sang de Julia puis on a m'a laissé mariner seul, de longues minutes. Sans doute était-ce une procédure pour faciliter l'introspection et la gamberge. Ça fonctionnait du tonnerre. Je turbinais comme une tondeuse à gazon lâchée sur une plage . Julia habitait à plus de cinq cent kilomètres de chez moi. Sa voiture était restée garée près de son domicile. Selon toute vraisemblance, il avait fallu que quelqu'un l'achemine jusqu'à ma bicoque isolée. Qui donc se serait donné cette peine là ? Je vis ici, reclus depuis plus de sept ans. Mes relations avec ceux de mon espèce se bornent aux contacts obligatoires. Je ne cultive ni amitié, ni inimitié. Alors, 1O pour dix ans, finalement, ça tient la route, car socialement, je suis mort depuis longtemps.
J'ai bien eu une aventure juste après Julia avec Paule, une rousse sensible aux seins parfaits, un peu plus âgée que moi, dont la vie avait été émaillée d'amants pitoyables, mais je l'avais quittée rapidement et sans heurts particuliers dès que je l'avais sentie amoureuse. Le timing n'était pas bon et je n'avais aucune envie de la balader compte-tenu de ses antécédents. Elle m'avait demandé d'être franc et j'ai souvenir de l'avoir été en tentant de rendre la séparation aussi douce que possible. La suite de ma vie affective se résumait à un désert aux mirages furtifs et clairsemés.
Je ne suis pas un types à montres. L'heure est affichée un peu partout et ça ne me manque pas, d'ordinaire, mais dans cette pièce, rien ne me permet d'estimer le temps qui passe. Pas d'horloge ni de fenêtre. L'attente nourrit les obsessions au point que je commence à espérer le retour des flics, juste pour avoir une estimation de mon temps de cuisson, juste pour me raccrocher à du tangible qui s'égrène. Je pourrais me lever, me dégourdir les jambes, mais j'agis comme si j'étais soudé à cette chaise. Je dois essayer de me détendre, fermer les yeux, chasser ce corps ensanglanté sur lequel viennent se greffer nos anciens ébats. Je ne dois pas me laisser détruire par le temps... pas maintenant...

La porte s'est ouverte. Je n'ai pas tourné la tête. Les deux flics ont échangé leur rôle, sans doute pour porter l'estoc. Ils m'observent sans mot dire. Je pense à celui que j'étais dix ans plus tôt, à ce que la vie m'a volé, à ce que j'ai laissé se perdre, par négligence, par lâcheté. C'est à tout ça que j'aurais dû songer lorsque j'étais seul. Je peux tenir des heures dans cet exercice silencieux.
_ Désolé pour l'attente. Remarquez, ça vous a peut-être laissé le temps de ramasser vos idées. Vous souhaitez changer votre version des faits ?
Je réponds par la négative et demande l'heure ainsi qu'un verre d'eau. Six heures seulement et je sens chaque organe sous pression.
_ Tenez, buvez, il se peut que nous n'en ayons pas tout a fait terminé avec vous. Nous avons pu contacter la fille de la victime...
Je sors de mes divagations. Les points de suspension se sont transformés en balles. Les deux flics ont croisé leurs bras et m'ont ciblé du regard. La sueur me coule le long de l 'échine. Je sens que chaque seconde explose en silence. Parler, parler... mais quoi dire ? Rien ne vient. Je guette la moustache du limier qui me fait face et menace de m'abattre.
_ Aude, vous vous souvenez ? C'est le prénom de la fille de la victime.
_ Vaguement, oui. Comme je vous l'ai dit, c'était il y a dix ans.
_ Aude, malgré le choc, a été catégorique sur un point bien précis : Vous aviez invité sa mère à passer ce week-end au bord de la mer.
J'ai bondi de ma chaise et ils se sont jetés sur moi pour me maintenir.
_ Mais c'est complètement faux ! Elle ment !
_ Calmez-vous ! C'est possible, mais le puzzle prend forme. Il ne tient qu'à vous de tourner la pièce dans le bon sens tant qu'il est encore temps.
_ Il n'est jamais temps de mentir.
_ Comme vous voudrez, mais pourquoi donc la fille de la victime vous accablerait-elle sans raison si vous ne l'avez pas vue depuis dix ans ?
Il se sont tus et ont, de nouveau, croisé les bras en position d'attente. Les interrogatoires, finalement, pèsent surtout par les silences. Je les imite, mais à l'intérieur, ça pulse. Je revois cette enfant qui doit avoir vingt ans maintenant et qui me crucifie pour je ne sais quelle raison. La sueur imprègne ma chemise. Je pue la poisse et tremble des guiboles. Ne pas céder à la panique, réfléchir, comprendre surtout... Aude ment ou je suis fou. L'équation tient en peu de choses et la clé est forcément là. Je fouille, je brasse les souvenirs. Cette gosse m'aimait pourtant bien à l'époque. Elle m'avait écrit après la rupture. Oui, elle m'avait demandé de revenir avec sa mère, supplié même. La mémoire est étrange: elle surgit parfois, agresse avec ce que l'on croit avoir brûlé. J'ai l'image de cette lettre d'enfant, de cette écriture appliquée qui me disait que le nouveau compagnon de sa mère était méchant avec elle le soir.
Oui j'ai laissé ma vie se déliter par négligence et par lâcheté, et celle des autres aussi. À mon tour, je reconstituais le puzzle. Dix, pour dix ans de souffrance sous l'emprise de ce type. La moitié de sa vie qui effacerait peut-être le reste de son existence. Julia n'a sans doute jamais avoué à Aude que c'était elle qui m'avait quitté. Dix ans arrachés parce que j'avais disparu de la circulation. La douleur, la souffrance, les traumatismes, un poids trop lourd à porter, et une mère incapable de la protéger. Les pièces de mon puzzle s'assemblent et j'endosse peu à peu une ma part de responsabilité dans ce drame. Cette lettre d'enfant, cet appel à l'aide auquel je n'ai pas cherché à répondre... Mon regard rebondit sur le front plissé des flics. Ils semblent si sûrs d'eux. J'imagine mes parents hagards, bombardés par la presse, les barreaux, les yeux cruels et fous de mes compagnons de cellule. De l'autre côté de la balance, se trouve Aude, aux hurlements étouffés, à l'ivresse meurtrière, à la vie broyée. Je songe à mes droits, à requérir le soutien d'un avocat et puis je vacille. Quoi qu'il advienne de mon sort, le mal restera, indélébile. Autant pencher pour le courage de me taire, autant répondre aujourd'hui à cette supplication d'enfant.

Non, je ne crois pas au hasard, mais à l'ironie de l'existence assurément ; à celle qui vous remet sur les rails et qui vous couche dessus, avant de lancer la locomotive à toute allure.

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Message  Nilo Ven 15 Avr - 17:32

Ah ! Ca faisait longtemps que je n'avais pas lu du Vivant, haletant, bien écrit, avec une histoire qui tient la route, des personnages qui dérapent dessus, des embuches, des embardées, des passages à niveau mal fermés...

Nilo, garde barrière.

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Message  sasvata Ven 15 Avr - 19:06

La vache ça c'est une nouvelle qui tient la route!
Le début ne laissait absolument pas présager de la fin! Elle est géniale ton histoire! (enfin géniale, je m'entends Wink je suis pas sadique en vrai... ^^) Trop fort!!

Sasvata, y'a pas de hasard
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Message  vivant Sam 16 Avr - 0:41

merci... écrite en une nuit... pour un concours... mais pas retenue... ça arrive de temps en temps.

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Message  Ratoune Sam 16 Avr - 9:27

Dans concours il y a " cours " s'pas ?
Bien vue cette histoire sans déraillement. Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven
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